Skip to main content
05
Avr

La gouvernance de la pénurie des vaccins Covid-19 et le droit des brevets au crible du discernement éthique FR/EN

Par : Jacques Montagut

Il aura fallu moins d’un an d’innovations sans précédent pour aboutir à la production des premiers vaccins contre le SARS Cov-2, susceptibles d’enrayer la pandémie galopante à travers les continents. Les extraordinaires avancées de la connaissance scientifique ont mobilisé à l’échelle mondiale les moyens humains et logistiques pour connaître le virus, ses variants génomiques, sa pathogénie et développer les prises en charge curative et préventive de la pandémie. Une accélération de la recherche innovante sur les vaccins a permis de finaliser certains concepts comme celui des vaccins à ARN, d’en adapter d’autres : vaccins à vectorisation virale, vaccins protéiques, vaccins viraux inactivés, dont Fertile Vision a publié un état des lieux le 8 janvier 2021.

La gouvernance de la pénurie des vaccins Covid-19 et le droit des brevets au crible du discernement éthique

La question aujourd’hui est celle de pouvoir vacciner au plus vite des milliards de personnes, un défi à nouveau sans précédent sur la production des vaccins. Les enjeux sont multiples : s’assurer des doses de rappel, adapter les vaccins aux variants génomiques qui l’imposent, prioriser les groupes à risque dans tous les pays, s’assurer d’une mise à disposition équitable à l’échelle mondiale, assurer le soutien financier à la recherche-développement de l’évolution vaccinale.

Le tableau suivant résume les enjeux éthiques du légitime droit à la propriété intellectuelle des brevets et celui de la gouvernance de la pénurie de vaccins qui touche singulièrement à la fois tous les pays riches et pauvres, du Nord comme du Sud, interdépendants dans l’évolution de la pandémie et des variants viraux qui l’entretiennent.

Certes tout le monde s’accorde à considérer que la Santé (au sens OMS du terme) est un bien commun universel. La gouvernance de la pénurie vaccinale relève d’un certain nombre de principes fondamentaux tels que la primauté de la personne, la justice sociale, l’égalité d’accès aux soins, la non-discrimination et la solidarité. D’un autre côté, la sortie de la crise sanitaire, économique et sociale de la pandémie relève en grande partie de l’innovation thérapeutique et vaccinale sans laquelle l’accès équitable aux vaccins ne se poserait pas, comme le souligne à juste titre Alexandra Mendoza-Caminade, professeure de droit, notamment en propriété intellectuelle (Université Toulouse–Capitole). L’innovation la plus marquante à ce jour est celle des vaccins à ARNm qui repose en partie sur des brevets antérieurs à la pandémie. La recherche-développement est longue, coûteuse et parfois sans débouché commercial, comme nous avons pu le constater récemment dans notre pays.

Il n’existe pas une solution unique mais multiple selon les convergences d’intérêt économique et géopolitique, dans le respect des principes qui fondent les droits de l’Homme.

Il appartient aux autorités nationales de garantir les priorités d’accès aux vaccins puis d’élargir cette garantie de façon équitable et juste. Cette garantie relève d’un véritable cadre éthique comme le souligne le Comité de bioéthique du conseil de l’Europe (DH-BIO) dans sa déclaration du 22 janvier 2021.

En l’état du droit, il semble que dans ce contexte d’urgence, la solution radicale de la licence d’office soit inadaptée parce que chronophage du fait de la complexité de la procédure, inévitablement judiciaire.

C’est par la négociation que des solutions peuvent être trouvées avec l’industrie pharmaceutique, tant à l’échelle nationale que mondiale. Elles sont multiples. Il peut s’agir par exemple de transfert de licences entre industriels ou de licences de fabrication à l’exemple de celle entre Sanofi et Pfizer BioNtech pour accélérer et amplifier la mise en flacon des vaccins.

Certains états comme l’Afrique du Sud ou le Brésil, dès octobre dernier, ont demandé à négocier une suspension temporaire des brevets. Une telle demande dérogatoire dans le cadre de l’OMC, particulièrement à travers l’ADPIC, pourrait peser en faveur de la production de génériques, bien moins chers, comme ce fut le cas dans le passé pour les médicaments du sida.

Seule une volonté politique forte au plus haut niveau des Etats permet d’aboutir à la négociation d’un accès équitable aux vaccins. Si les idées ne manquent pas, les actes doivent suivre dans le financement et la logistique de répartition mondiale des doses.

C’est ainsi que s’est mise en place une nouvelle collaboration mondiale pour accélérer la mise au point et la production d’outils diagnostiques, thérapeutiques et vaccinaux contre la Covid-19. L’accélérateur ACT regroupe des dirigeants de gouvernement, des organisations mondiales du domaine de la santé, des entreprises et des organismes philanthropiques pour lutter contre la Covid-19. De même le mécanisme COVAX, dirigé par l’OMS, le CEPI et l’Alliance GAVI, a été créé pour offrir aux pays qui l’autofinancent et à ceux qui peuvent prétendre à une aide, « un système de garantie de marché pour accéder à une gamme diversifiée de vaccins candidats susceptibles de s’adapter à toutes sortes de contextes de circonstance ». L’UNICEF est le principal partenaire d’exécution du mécanisme COVAX.

Depuis le 1er mars, la Nigériane Ngosi Okonjo-Iweala, économiste de renom, a pris ses fonctions à la direction générale de l’OMC, après avoir dirigé au cours de ces 5 dernières années l’alliance GAVI. Première femme et premier dirigeant d’origine africaine de cette institution, nul doute qu’elle contribuera efficacement à favoriser l’indispensable négociation entre les parties prenantes pour garantir l’efficacité de la procédure d’équité d’accès à la vaccination contre la Covid-19.

Pour reprendre la déclaration conjointe de la directrice générale de l’Unicef et du directeur général de l’OMS le 10 février dernier : « gagner ou perdre, ce sera ensemble ».

 

Abréviations :

OMC : Organisation mondiale du commerce

ADPIC : Accord sur les aspects de droits de propriété intellectuelle qui touche au commerce

OMS : Organisation mondiale de la santé

CEPI : Coalition pour les innovations en matière de préparation aux épidémies

GAVI : Global alliance for vaccines and immunization

UNICEF : Fonds des Nations Unies pour l’enfance

 

Lectures recommandées

Le Comité de bioéthique du conseil de l’Europe (DH-BIO) publie le 22 janvier 2021 une déclaration sur l’équité d’accès à la vaccination pendant la pandémie et les pandémies futures https://rm.coe.int/dh-bio-statement-vaccines-f-1/1680a127a3

Le Monde : faut-il libérer les brevets des vaccins pour en produire plus ? 9 février 2021 https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2021/02/09/covid-19-faut-il-liberer-les-brevets-des -vaccins-pour-en-produire-plus_6069314

déclaration conjointe UNICEF-OMS du 10 février 2021 : « dans la course vaccins contre la Covid-19, gagner ou perdre, ce sera ensemble » https://www.who.int/fr/news/item/10-02-2021-in-the-covid19-vaccine-race-we-either-win-together-or-lose-together

Governance of COVID-19 vaccine shortages and patent law under the scrutiny of ethical discernment

It took less than a year of unprecedented innovation to produce the first vaccines against SARS Cov-2, which could stop the rampant pandemic across continents. The extraordinary advances in scientific knowledge have mobilized global human and logistical resources to know the virus, its genomic variants, its pathogenesis and to develop the curative and preventive management of the pandemic. An acceleration of innovative vaccine research has led to the finalization of some concepts such as RNA vaccines, and the adaptation of others: viral vector vaccines, protein vaccines, inactivated viral vaccines, of which Fertile Vision published an update on January 8, 2021.

The question today is to be able to vaccinate billions of people as quickly as possible, a challenge once again unprecedented in vaccine production. The challenges are multiple: ensuring booster doses, adapting vaccines to the genomic variants that require it, prioritizing at-risk groups in all countries, ensuring equitable global availability, and providing financial support for vaccine evolution research and development.

The following table summarizes the ethical stakes of the legitimate intellectual property rights of patents and that of the governance of the vaccine shortage, which affects both rich and poor countries, both the North and the South, interdependent in the evolution of the pandemic and the viral variants that sustain it.

Of course, everyone agrees that Health (in the WHO sense of the term) is a universal common good. Governance of vaccine shortages falls under a number of fundamental principles such as the primacy of the human person, social justice, equal access to care, non-discrimination and solidarity. On the other hand, the exit from the health, economic and social crisis of the pandemic is largely a matter of therapeutic and vaccine innovation without which equitable access to vaccines would not arise, as Alexandra Mendoza-Caminade, law professor, especially in intellectual property (University Toulouse-Capitole) rightly points out. The most significant innovation to date is mRNA vaccines, which are based in part on pre-pandemic patents. Research and development is long, expensive and sometimes without a commercial opportunity, as we have seen recently in our country.

There is not a single solution but a multiple one according to the convergences of economic and geopolitical interest, in compliance with the principles which underlie human rights.

It is up to national authorities to ensure priority access to vaccines and then to extend this guarantee in a fair and just manner. This guarantee is part of a genuine ethical framework, as the Council of Europe's Bioethics Committee (DH-BIO) points out in its statement of 22 January 2021.

As the law stands, it seems that in this emergency context, the radical solution of compulsory licensing is inadequate because it is time-consuming due to the complexity of the court action that is needed.

It is through negotiation that solutions can be found with the pharmaceutical industry, both nationally and globally. There are many of them. Examples include license transfer between manufacturers or manufacturing licenses, such as the agreement between Sanofi and Pfizer BioNtech companies aiming at speeding up and amplifying the bottling of vaccines.

Some states, such as South Africa and Brazil, as early as last October, have asked to negotiate a temporary suspension of patent protection. Such a derogatory request under the WTO, particularly through TRIPS, could weigh in favor of the production of generics, which are much cheaper, as was the case in the past for AIDS drugs.

 

Only strong political will at the highest level of the States can reach through negotiation an equitable access to vaccines. If there is no shortage of ideas, actions must follow in terms of financing and logistics for global allocation of doses.

As a result, a new global collaboration has been established to accelerate the development and production of diagnostic, therapeutic and vaccination tools against COVID-19 disease. The ACT accelerator brings together government leaders, global health organizations, businesses and philanthropic organizations to fight SARS CoV-2. Similarly, the COVAX mechanism, led by WHO,  CEPI and the GAVI Alliance, was created to offer countries that finance it and those eligible for assistance "a market guarantee system to access a diverse range of candidate vaccines that can adapt to all kinds of circumstances". UNICEF is the main implementing partner of the COVAX mechanism.

Since 1 March, Nigerian Ngosi Okonjo-Iweala, a renowned economist, has taken office as WTO Director-General, having led the GAVI alliance over the past five years. As the first woman and first African head of this institution, she will no doubt contribute effectively to fostering the necessary negotiation between stakeholders so as to ensure the effectiveness of the equal access to vaccination procedure against COVID-19 disease.

In the words of Unicef Executive Director and WHO Director-General on 10 February:

"We either win together or lose together".

 

Abbreviations:

WTO: World Trade Organization

TRIPS: Agreement on Intellectual Property Rights Aspects To Trade

WHO: World Health Organization

CEPI: Coalition for Innovations in Epidemic Preparedness

GAVI : Global alliance for vaccines and immunization

UNICEF: United Nations Children's Fund

 

Recommended readings

The Council of Europe's Bioethics Committee (DH-BIO) issues a declaration on 22 January 2021 on fair access to vaccination during the pandemic and future pandemics  https://rm.coe.int/dh-bio-statement-vaccines-f-1/1680a127a3

Le Monde : faut-il libérer les brevets des vaccins pour en produire plus ? 9 février 2021 https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2021/02/09/COVID-19-faut-il-liberer-les-brevets-des -vaccins-pour-en-produire-plus_6069314

UNICEF-WHO joint statement of 10 February 2021: "in the vaccine race against COVID-19, win or lose will be together" https://www.who.int/fr/news/item/10-02-2021-in-the-COVID19-vaccine-race-we-either-win-together-or-lose-together

Dernière modification le 12 mars 2024 2:37

Jacques Montagut

Jacques Montagut s'investit pour faire connaître et reconnaître la médecine et la biologie de la reproduction ainsi que les questions éthiques soulevées par l’avancée de la connaissance dans ce domaine. Il a siégé dans différentes instances ministérielles et éthiques. Il décide aujourd’hui de favoriser la réflexion et le débat sur le site Internet de Fertile Vision.

Poster un commentaire

Vous êtes identifié(e) en tant qu'invité