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29
Mai

2013 – 2023 : dix ans d’évolution de la bioéthique en Europe, sur l’accès aux origines du tiers donneur de gamètes et d’embryon

Par : Jacques Montagut

Une étude comparative des législations européennes (États-membres du Conseil de l’Europe) en 2013 à propos du don de gamètes et les résultats de l’enquête du Comité européen de coopération juridique (CDJC) publiée en décembre 2022 nous conduisent ici à mieux appréhender l’évolution de la bioéthique en matière d’anonymat du don de gamètes et d’embryon et celle d’un droit d’accès aux origines du tiers donneur en Europe.

Une étude comparative des législations européennes (États-membres du Conseil de l’Europe) en 2013 à propos du don de gamètes [1] et les résultats de l’enquête du Comité européen de coopération juridique (CDJC) publiée en décembre 2022[2] nous conduisent ici à mieux appréhender l’évolution de la bioéthique en matière d’anonymat du don de gamètes et d’embryon et celle d’un droit d’accès aux origines du tiers donneur en Europe.

En 2013, nous recensions 8 pays optant pour l’accès aux origines du tiers donneur (AO) : Autriche, Géorgie, Italie, Pays-Bas, Norvège, Royaume Uni, Suède, Suisse.  En 2023, 8 autres ont légiféré en sa faveur : Allemagne, Croatie, Danemark, Finlande,  France, Irlande, Lithuanie, Malte. Ce nombre a doublé en dix ans.

Aux 16 pays ayant maintenu le principe de l’anonymat du don depuis 2013 (Azerbaidjan, Belgique, Bulgarie, Espagne (sauf nécessité thérapeutique), Estonie, Grèce, Hongrie, Islande, Lettonie, Luxembourg, Pologne, Roumanie, République Tchèque, Fédération de Russie  Slovaquie, Slovénie, Ukraine, se rajoutent sur l’enquête du CDJC :  Macédoine du Nord, Montenegro et Serbie auxquels s’additionne l’Andorre (dotée d’une loi de bioéthique en 2021) soit 20 états du Conseil de l’Europe pourvus d’une législation.

Ce qui nous permet de préciser une répartition de 16 états qui ouvrent le droit d’accès aux origines versus 20 en faveur de l’anonymat du don, soit une proportion de 44% en faveur de l’AO pour les États-membres composant le Conseil de l’Europe. La répartition connue en 2023 (13 vs 14) au sein des 27 États-membres de l’Union européenne est sensiblement identique de l’ordre de 48%.

Ces premiers éléments objectivent depuis 10 ans une évolution significative d’un droit à connaitre ses origines au sein des pays européens, dans le cadre d’un projet procréatif médical et parfois sociétal, en dépit des risques connus de la levée de l’anonymat du tiers donneur (rupture de l’engagement pris au moment du don, risques de déstabiliser les familles légales concernées et de remettre en cause la filiation des parties prenantes : tiers donneur, tiers receveur devenu parent légal, enfant né).

Plusieurs éléments retiennent l’attention à propos de la dernière enquête du CDJC.

L’importance des données non identifiantes du donneur : une valeur éthique commune

autant pour les législations n’autorisant pas l’accès à l’identité du donneur (Belgique, Espagne, Grèce, Lettonie, Pologne, Serbie, Slovénie, Ukraine) que pour celles faisant droit à connaitre l’identité du tiers donneur (Danemark, Finlande, France, Irlande, Malte, Pays-Bas, Suède, Royaume Uni).

Cependant, les choix législatifs divergent à différents niveaux dont nous retiendrons les deux principaux :  

Le moment de l’accord du donneur est variable :

  • au moment du don : Autriche, Croatie, Danemark, France, Irlande, Suisse, Royaume Uni
  • au moment du don ou au moment de la demande de l’enfant : Pays-Bas
  • à la demande de l’enfant conçu : Lituanie

Certains pays n’exigent pas le consentement du tiers donneur : Finlande, Norvège, Suède

Ceci laisse penser que les uns compensent la rupture de garantie de l’anonymat strict au moment du don, en différant la révélation de l’identité au moment de l’éventuelle demande de l’enfant, alors que d’autres préfèrent mettre en place dans la mesure du possible et au plus tôt une égalité du droit d’accès à l’identité du donneur que la conception soit datée avant ou après le changement de la loi. Il va de soi que l’accès aux origines pour les enfants conçus avant son entrée dans le droit national ne peut être éthiquement acceptable qu’après l’accord du donneur a posteriori, conscient de l’intérêt de l’enfant à pouvoir inscrire sa généalogie dans son histoire affective. La perception de son accès aux origines dont la connaissance en permet le récit,  est  source de sens sur sa place dans le corps social et sur son appartenance culturelle.  Ce droit de savoir n’éliminant pas celui de ne pas savoir, pour certains de ceux dont les parents légaux ont eu recours à un tiers donneur pour des raisons médicales, sans lequel il n’aurait pas pu être conçu.

Les conditions d’âge d’accès aux origines pour l’enfant

Alors que nous avions remarqué en 2013 qu’à quelques exceptions près, les conditions d’âge requises sont plutôt homogènes tant pour un donneur de spermatozoïdes que pour une donneuse  d’ovocytes, il n’en est pas de même  pour l’accès aux origines d’un enfant né d’une AMP avec recours à un don de gamètes ou d’embryon. Ainsi, en 2023, pour les États ayant répondu à l’enquête trans-gouvernementale, l’accès aux origines est autorisé dans 15 fois sur 25 et 13 des 15 pays européens légiférant en faveur de l’AO, ont posé des conditions d’âge chronologique que nous résumons dans le tableau çi-dessous.

 

Par l’intermédiaire des parents légaux, l’enfant peut connaitre l’identité du donneur à 14 ans en Autriche, à 15 ans en Norvège et même accéder à des données non identifiantes dès l’âge de 12 ans aux Pays Bas.

Les variations individuelles du développement personnel particulièrement à l’adolescence, pourraient expliquer ces divergences de conditions d’âge chronologique en lieu et place d’un âge physiologique moins stigmatisant et moins discriminatoire. Toutefois, la révélation de l’identité du donneur par l’intermédiaire des parents, expose à un risque de pressions inutiles par exemple entre donneur et receveur,  au détriment de l’enfant né, le seul véritablement concerné pour accéder à ses origines personnelles. Un organisme pluridisciplinaire dédié ne pourrait-il pas mieux apprécier, au cas par cas, la motivation et la maturité de l’enfant à recevoir l’information plutôt qu’à attendre le couperet de la majorité, souvent trop tardif, à la lumière de ce que nous savons déjà sur les conséquences de la révélation tardive du secret de la conception.

Par ailleurs, des dispositions appropriées doivent être prises par l’État pour la protection des données des enfants conçus , suite à une assistance médicale à la procréation avec l’aide d’un tiers donneur de gamètes ou d’embryon,  en adéquation des droits des autres parties prenantes.

La primauté de l’intérêt de l’enfant dans tout projet procréatif se lie de plus en plus souvent,  dans les choix des législateurs européens,  à un droit d’accéder à la connaissance de ses origines. Il  convient dès lors de protéger l’autonomie décisionnelle de l’enfant d’y recourir,  au même titre que la liberté de procréer donnée aux parents à l’origine de sa conception.

 

[1] J.Montagut, « Y-a-t-il une place pour des valeurs communes du don de gamètes en Europe ? », 3èmes journées de l’Agence de la biomédecine, Paris,  3 mai 2013

[2] Enquête du Comité européen de Coopération Juridique (CDCJ) du Conseil de l’Europe, publiée sous la forme d’une Etude comparative préparée par Jean-René Binet (décembre 2022) : https://www.coe.int/fr/web/cdcj/home

Dernière modification le 15 mars 2024 18:30

Jacques Montagut

Jacques Montagut s'investit pour faire connaître et reconnaître la médecine et la biologie de la reproduction ainsi que les questions éthiques soulevées par l’avancée de la connaissance dans ce domaine. Il a siégé dans différentes instances ministérielles et éthiques. Il décide aujourd’hui de favoriser la réflexion et le débat sur le site Internet de Fertile Vision.

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